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Pāli, textes et langue

Jusqu'au XVIIe-XVIIIe siècle, le terme Pāli désigne l'ensemble des textes considérés comme "paroles de Buddha" (buddha-vacana) et pouvait être traduit en français par le terme technique de "Canon" (ensemble des textes considérés comme sacrés par une communauté religieuse ; en l'occurrence, ici, le Theravāda).

À partir du XVIIIe siècle, l'emploi du terme a évolué et il a aussi été utilisé pour désigner la langue dans laquelle ces textes ont été transmis.

Depuis, l'usage s'est généralisé de parler de "Canon pāli" et de "langue pālie".

Sur ce site, lorsque le terme est employé avec une majuscule et coloré - Pāli -, il désigne le Canon du Theravāda ; s'il est employé sans italiques, sans majuscules et en noir - pāli - il désigne la langue et peut être employé comme substantif ou adjectif. On pourra ainsi trouver les expressions "langue pālie" et/ou "langue du Pāli".

Cette rubrique est divisée en trois ensembles :

  • La littérature pālie
    propose une présentation, historique et critique, de la littérature rédigée en pāli : le Canon du Theravāda, appelé Canon pāli, mais aussi les textes écrits dans la même langue et considérés comme littérature non canonique : Commentaires (aṭṭhakatha) ou traités comme le Visuddhimagga de Buddhaghosa, etc. Cette partie comporte aussi des études de textes : livres, articles, conférence ou cours portant sur un texte particulier.
     

  • La langue pālie
    propose, d'une part, une présentation de la langue pālie (histoire, graphie et prononciation, éléments de base sur la morphologie et la syntaxe...), d'autre part, un ensemble de textes traduits et commentés, issus de la littérature pālie.
     

  • Le Dictionnaire en ligne pāli-français
    est un dictionnaire en ligne collaboratif (sous forme de "wiki") lié au groupe d'études "Découverte de la langue pālie".

 

 

Petite histoire du Pāli

Pāli est le terme qu’emploient, à partir du Ve s. ap. J.-C., les bouddhistes cinghalais du Theravāda pour désigner l’ensemble littéraire de référence qui constitue leur Canon. Celui-ci, aussi appelé « triple corbeille » (ti-piṭaka), est formé de trois ensembles : le Vinaya-piṭaka, Corbeille de la discipline, qui expose les règles de vie des bhikkhu-s et des récits fondateurs de la Communauté (saṅgha), le Sutta-piṭaka, Corbeille des enseignements, appelé aussi Suttanta, qui rassemble les enseignements « bien-dits » (sutta) par le Buddha ou ses principaux disciples directs, et enfin  l’Abhidhamma-piṭaka, Corbeille de la doctrine supérieure (ou de la « réalité complète », selon les traductions possibles du terme abhi-dhamma), spécifique de la lignée d’exégèse à laquelle se rattache le Theravāda.

Par l’emploi de ce nom propre – Pāli – le Theravāda distingue, d’un côté, une littérature traditionnelle relevant d’une transmission orale de Commentaires (aṭṭhakathā) et d’exégèse, effectuée dans la langue cinghalaise ordinaire (appelée elu), et, d’un autre côté, une littérature sacrée, le Pāli proprement dit, constituée d’enseignements considérés comme « paroles de Buddha » (buddha-vacana), transmise dans une langue qu’on affirme être celle parlée par le Buddha lui-même, le magadhi (magadhī-bhāsā). Cela dit, la langue du Pāli ne peut pas être considérée comme la langue ordinaire (ou prakrit) parlée dans la région du Magadha ; elle semble plutôt être le résultat de la concrétion de plusieurs langues prakrites, autour d’un prakrit « noyau » probablement en usage en Inde occidentale (régions du Surāṣṭra et de l’Avanti, actuels états indiens du Gujarat et du Madhya Pradesh).

Selon les Chroniques cinghalaises du Theravāda, cet ensemble canonique et ses Commentaires ont été transmis à Ceylan, en 247 av. J.-C., par Mahinda-Thera, bhikkhu originaire de l’Inde centrale (région de l’Avanti) dont sa mère, l’un des principales favorites du roi maurya Aśoka, était originaire. La constitution de ce Canon s’est étendu sur près d’un millénaire, d’abord en Inde, lors de trois « récitations communautaires » (saṅgīti) successives : la première aurait eu lieu quelques semaines seulement après la disparition du Buddha, lors de la réunion de 500 de ses disciples directs, tous arahant, appelés thera ou theriya par les Cinghalais ; la deuxième, environ un siècle plus tard, à Vesali (skt. Vaiśālī), aurait confirmé les textes du Vinaya-piṭāka ; la troisième, durant le règne du roi Aśoka (cerca 250 av. J.-C.), aurait fixé la première version de l’Abhidhamma-piṭaka. A Ceylan même, le Canon fera l’objet d’au moins deux autres saṅgīti : l’une, au tout début de l’ère chrétienne, donne lieu à sa première mise par écrit ; une autre, au Ve siècle ap. J.-C., entend le clore définitivement. Deux autres saṅgīti auront cependant encore lieu, en Birmanie, en 1871 et en 1956, pour réviser cette dernière version écrite.

Le Pāli est le seul Canon des divers nikāya-s de la Grande Inde qui nous soit parvenu complet. Sa comparaison avec ce que l’on conserve ou ce que l’on sait des Canons des autres nikāya-s autorise à y distinguer deux ensembles.

D’abord la recension, propre au Theravāda, d’un vraisemblable Canon « primitif », largement commun à tous les nikāya-s indiens, qui se composait de « 150 et quelques » règles de vies concernant les disciples bhikkhu-s, exposées dans le Vinaya-piṭaka, et plusieurs recueils de récits, exposés doctrinaux ou textes de styles variés, rassemblés dans le Sutta-piṭaka en quatre volumes principaux regroupant des exposés de « grande taille » (dīgha-nikāya), de « moyenne taille » (majjhima-nikāya), « regroupés par thèmes » (saṃyutta-nikāya) et « regroupés par nombre » (aṅguttara-nikāya), auxquels s’ajoutent un cinquième volume plus composite, de textes sans doute plus anciens (Stances du Dhamma - Dhammapāda, Paroles inspirées - Udāna, Collection de sutta - Sutta-nipāta) ou plus tardifs (Naissances (antérieures) - Jātaka). Cette recension ne montre que très peu de différences avec les autres Canons connus, mais elles peuvent parfois être significatives des choix exégétiques de la tradition indienne à laquelle se rattache le Theravāda.

Cette tradition indienne particulière apparaît plus nettement dans le second ensemble du Canon. Au sein du Vinaya-piṭaka : un nombre définitif de règles qui s’élève finalement à 227 pour les bhikkhu-s et 311 pour les bhikkhunī-s, ainsi que les récits fondateurs du Saṅgha et des trois premières saṅgītī (plusieurs indices laissent penser que ce Vinaya pourrait être commun aux Cinghalais et au nikāya indien du Mahīśāsaka) ; au sein du Sutta-piṭaka, quelques textes spécifiques regroupés dans le 5e volume (Khuddhaka-nikāya), notamment l’ensemble archaïque des Thera- et Therī-gathā (Stances des Anciens-Anciennes), dont on n’a conservé aucune trace ou mention dans les autres Canons, ou encore les deux textes les plus tardifs de la Chronique des Eveillés (Buddha-vaṃsa) et de la Corbeille du comportement (Cariya-piṭaka), qui présentent les bases de conception d’une « voie du bodhisatta » ; et enfin, surtout, l’Abhidhamma-piṭaka, dont les sept livres présentent une tradition d’exégèse indienne spécifique, qui s’identifie lors de la troisième saṅgīti sous le nom de Vibhajya-vāda ou « école des distinctionnistes ».

À Ceylan même, peu de modifications semblent avoir été apportées à ce Canon d’origine indienne. Quelques-unes ont vraisemblablement eu lieu dans l’organisation des textes du Sutta-piṭaka et certains chercheurs ont avancé l’hypothèse que quelques textes importants auraient pu être ajoutés – par exemple, la version « longue » du (Mahā-)Satipaṭṭhana-sutta, si célèbre aujourd’hui, qui aurait été inclue dans le Dīgha-nikāya lors de la saṅgīti réunie au début de l’ère chrétienne. L’essentiel consiste surtout dans l’ajout d’un certain nombre de chapitres au livre des « Controverses » (Kathavaṭṭhu), au sein de l’Abhidhamma-piṭaka, qui présente les thèses soutenues par le Theravāda contre les autres courants du bouddhisme cinghalais (Dhammarucika de l’Abhayagiri-vihāra, notamment). La saṅgīti du Ve s. ap. J.-C. aura surtout pour but de clore définitivement le Pāli et d’éviter qu’y soit inclus des textes de langue sanskrite, présentant des thèses relevant du Mahāyāna que le Theravāda refuse de considérer comme Buddha-vacana, contrairement au courant du Dhammarucika. En revanche, trois textes d’origine sanskrite, du nikāya Sarvāstivāda, seront traduits (et même augmentés, pour ce qui est du Milinda-pañha ou Questions de Milinda) et considérés comme paracanoniques à Ceylan mais inclus dans le Canon en Birmanie.

À l’époque moderne (à partir du XVIIe s. ap. J.-C.), l’usage du terme pāli change et, de nom propre, devient adjectif qualificatif. Il est désormais employé, en place du terme magadhi, pour désigner la langue de rédaction du Canon et l’on parle aujourd’hui du « Canon pāli » et de la « langue pālie ».