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Le Theravāda

Le terme Theravāda apparaît au Ve s. après J.-C., dans la littérature cinghalaise, pour désigner a posteriori une lignée bouddhiste particulière qui entend ainsi se démarquer de deux autres lignées cinghalaises.

Après une réforme voulue par le roi cinghalais Parakkama-Bāhu Ier, en 1160, la lignée du Theravāda se diffuse progressivement dans toute l’Asie du sud-est, du XIIe au XVIe siècles, de Birmanie jusqu’au sud du Vietnam, où elle cohabite avec d’autres lignées plus anciennes.

Depuis le milieu du XXe siècle, à la demande expresse des représentants officiels des bouddhistes de cette aire géographique, le terme Theravāda est désormais employé pour désigner l’ensemble des bouddhistes de l’Asie du sud et du sud-est, se référant essentiellement au Canon pāli, quelles que soient leur lignée ou leurs pratiques.

Cette rubrique est divisée en trois ensembles :

 

Petite histoire du Theravāda

Le nom « Theravāda » apparaît pour la première fois dans plusieurs textes rédigés à Ceylan (actuel Sri Lanka) aux alentours du Ve s. ap. J.-C.
Cet « enseignement (vāda) des Anciens (Thera) », comme on le traduit habituellement, fait référence aux cinq cents disciples directs du Buddha qui ont participé à la première « récitation communautaire » (saṅgīti), tous arahant, que ces textes appellent thera ou theriya.

Employé a posteriori – plus de huit siècles après l’événement de la première saṅgīti – Theravāda est employé dans ces textes pour désigner une lignée d’enseignement dont les origines, à Ceylan, remontent au IIIe s. av. J.- C., avec l’implantation officielle dans l’île d’une double communauté, de bhikkhu-s et bhikkhunī-s, fondée par Mahinda et Sanghamittā, fils et fille de l’empereur Aśoka. Accueillis dans la capitale royale d’Anuradhapura en ~247, le roi Devanāmpiya Tissa y fera construire pour eux la « Grande Résidence » (mahā-vihāra).
Cette lignée est donc représentative du courant Vibhajyavāda, « patronné » par Aśoka lors de la troisième sangīti qui s’est tenue à Pāṭaliputra sous l’autorité du bhikkhu Mogaliputta Tissa. C’est à cette occasion qu’ont été fixées les « Trois Corbeilles » (ti-piṭaka) du Canon Pāli ainsi que la tradition des Commentaires (aṭṭhakathā) qui les complètent. L’île de Ceylan n’est alors que l’une des destinations de plusieurs « missions » envoyées par Aśoka pour diffuser les enseignements du Buddha aux marches de son empire : au nord-ouest de l’Inde, au Gandhara (actuel état de l’Afghanistan) ; au nord, dans les premiers contreforts de l’Himalaya ; à l’est du golfe du Bengale (actuel état de Birmanie) ; au sud et au sud-est de l’Inde continentale, en pays Chola et Andhra, et donc aussi à Ceylan.
Pour les auteurs cinghalais du Ve s., le terme Theravāda s’applique à toutes les communautés issues de ces diverses missions.

Dès son implantation à Ceylan, cette lignée devient, par la volonté du roi Devanāmpiya Tissa, une véritable religion d’état – un fait unique dans l’histoire du bouddhisme –, ce qui aura des conséquences ultérieures aussi bien sur les rapports complexes qui lient les souverains à la communauté des bhikkhu-s, que sur certains points de doctrine et les pratiques qui en découlent – notamment la question de la « violence institutionnelle » (guerre et justice) qui est l’apanage des seuls souverains et la doctrine du don (dāna) et des actions « bienfaisantes » (puññā) qui sont sensées la contrebalancer.

Au Ier s. de notre ère, le roi Dutthagāmanī fait construire un nouveau vihāra dans sa capitale, l’Abhayagiri-vihāra, et l’offre à un bhikkhu qui l’avait particulièrement soutenu dans son effort de reconquête de l’île, envahie par les Tamouls de l’Inde du sud. Ce don « personnel », contraire au Vinaya (tout don doit être fait à la Communauté entière, jamais à un bhikkhu en particulier) entraîne l’expulsion du bhikkhu incriminé de la communauté du Mahā-vihāra. Lui et plusieurs de ses partisans font alors sécession et s’installent dans l’Abhayagiri-vihāra, qui devient par là-même le siège d’une nouvelle lignée cinghalaise. Elle sera nommée Dhammarucika (« Ceux qui suivent Dhammaruci »), en référence à un bhikṣu de l’Inde du sud, Dhammaruci, qui s’installera à Ceylan pour soutenir les sécessionnistes et en prendra bientôt la tête.
Plus ouverts aux évolutions du bouddhisme indien que les bhikkhu-s du Mahā-vihāra, ceux du Dhammarucika introduisent à Ceylan, dès le IIIe s. de notre ère, des textes du Mahāyāna qu’ils considèrent comme « paroles de Buddha » et qu’ils entendent intégrer au Canon Pāli. D’abord combattus par les souverains cinghalais, ces bhikkhu-s du Dhammarucika finissent par recevoir leur soutien ; le Mahā-vihāra est alors détruit – puis, finalement, reconstruit – et une partie des bhikkhu-s de la communauté du Dhammarucika, qui ne souhaitent pas s’engager sur la voie du Mahāyāna, font à leur tour sécession. Plutôt que de rejoindre la communauté du Mahā-vihāra, ils fondent à leur tour une nouvelle lignée qui prendra le nom de Sāgaliya (« ceux qui suivent Sāgala ») et qui s’installera ultérieurement au Jetavana-vihāra, un troisième vihāra d’importance, construit pour eux dans la capitale.

Les textes rédigés au Ve s. ap. J.-C., dans lesquels le terme Theravāda apparaît, sont tous les œuvres de bhikkhu-s du Mahā-vihāra. Il s’agit notamment de deux grandes Chroniques (vaṃsa) évoquant l’histoire de l’implantation des enseignements du Buddha à Ceylan – Dīpa-vaṃsa, la Chronique de l’île, et Mahā-vaṃsa, la Grande Chronique – mais aussi de diverses œuvres de  trois érudits d’origine indienne – Budhadatta, Buddhaghosa et Dhammapāla – qui s’établirent à Ceylan et fixeront l’orthodoxie de cette lignée dans plusieurs Traités – dont le plus célèbre est le Visuddhimagga ou « Sentier de la pureté », de Buddhaghosa – et la traduction des Commentaires (aṭṭhakathā), cinghalais et indiens, dans la langue du Pāli.
Avec la fixation progressive de cette orthodoxie propre au seul Mahā-vihāra, le terme Theravāda finira donc par désigner le plus « conservateur » des trois courants bouddhistes cinghalais, historiquement le plus ancien et, de ce fait, bénéficiant d’une renommée particulière, mais qui ne réussira pas toujours à maintenir sa prédominance au sein de la communauté bouddhique cinghalaise face aux courants plus ouverts au Mahāyāna, puis au Vajrayāna, dont il subira d’ailleurs lui-même l’influence.

Ce n’est qu’en 1160, sur décision autoritaire du roi Parakkama-Bāhu Ier, que le Mahā-vihāra redeviendra finalement la seule autorité officiellement reconnue à Ceylan pour la transmission des ordinations – le terme Theravāda, jusqu’au XXe s., ne sera d’ailleurs employé, en effet, que pour désigner une « lignée d’ordination » et non pas un corps doctrinal. Mais la « fusion » des trois courants cinghalais, malgré la volonté royale d’établir une orthodoxie fidèle au seul Mahā-vihāra, n’empêchera pas la présence déjà ancienne d’éléments relevant du Mahāyāna et du Vajrayāna de se maintenir dans la pratique, sinon dans la doctrine du Theravāda – le seul canon Pāli demeurant la référence exclusive de l’école, à l’exclusion de tout autre texte, notamment de langue sanskrite. C’est ce Theravāda « hybride » qui se diffusera ultérieurement en Asie du sud-est, de Birmanie en Thaïlande, puis au Cambodge et au Laos, et jusqu’au sud du Viêtnam.

Son implantation et son développement dans la péninsule indochinoise ne se fit pourtant pas sans difficultés. Parmi les écoles bouddhistes déjà implantées dans cette région, on en comptait plusieurs relevant d’autres nikāya-s du bouddhisme ancien de l’Inde – notamment l’un des plus importants en Inde du Nord, le Sarvāstivāda – nettement plus ouverts au Mahāyāna et au Vajrayāna, ou encore d’une lignée se réclamant elle aussi du canon Pāli, peut-être issue de l’Abhayagiri-vihāra ou des Mahīśāsaka du pays Andhra. Le Theravāda cinghalais ne les supplantera pas et plusieurs lignées, proches mais néanmoins différentes, coexistent donc dans cette région, jusqu’à aujourd’hui.

Trois fois menacée de disparition à Ceylan – du XIIe au XIXe s. –, l’« ordination » ou « prise complète  [des préceptes] » (upasampadā) des bhikkhu-s , pilier du Theravāda, sera réintroduite depuis la Thaïlande et la Birmanie, ces deux pays jouant désormais un rôle plus influent que Ceylan ainsi que le montre, notamment, la tenue de la VIesaṅgīti qui s’est déroulée en 1956, en Birmanie, pour la dernière révision complète du Canon Pāli.

Ce n’est que depuis le milieu du XXe s. que, à la demande expresse des bouddhistes cinghalais, l’expression de « bouddhisme du Theravāda » est désormais employée pour désigner l’ensemble des bouddhistes d’Asie du sud et du sud-est – quels que soient leur lignée d’ordination et leurs choix doctrinaux et pratiques... –, dès lors qu’ils se réfèrent essentiellement au Canon Pāli. Cette expression remplace les appellations de « bouddhisme du sud » ou « bouddhisme pāli », qui avaient d’abord été employées par les savants occidentaux, au XIXe s., avant d’être remplacées, dans la première moitié du XXe s., par l’expression péjorative et inappropriée de « bouddhisme du petit véhicule » (hīna-yāna).

Le nom Theravāda, dont l’acception est donc désormais très large et généralisatrice, ne rend donc aucunement compte des multiples courants qui composent, encore aujourd’hui, cet ensemble bouddhiste extrêmement composite.